[Video] Modéliser l’impact des explosions sous-marines : un défi relevé par l’équipe Poems et Naval Group

10 juin 2021 Innovation Story

Dix ans de recherches académiques, menées par l’équipe-projet Poems, ont conduit à la mise au point d’un solveur rapide permettant de modéliser et simuler la propagation d’ondes mécaniques. L’histoire qui suit raconte comment, grâce à une thèse Cifre brillamment menée, ce solveur nommé Coffee permet aujourd’hui de répondre à des enjeux majeurs de défense en simulant l’effet des ondes, acoustiques cette fois, liées à une explosion sous-marine en champ lointain, sur un sous-marin.

À l’origine : une problématique industrielle

Un succès né de trois rencontres. Voilà comment pourrait être résumée la thèse Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) menée par Damien Mavaleix-Marchessoux. Au départ, il y a Naval Group d’un côté, entreprise notamment spécialisée dans la conception et le maintien en service des sous-marins et des navires de surface. Avec une problématique industrielle : « Nous avions besoin, pour des questions de défense, de pouvoir modéliser correctement les effets d’une explosion sous-marine sur le comportement du navire et de ses équipements, expose Bruno Leblé, ingénieur de recherche à Naval Group. Or il n’existe qu’un seul logiciel au monde capable de le faire, mais il a été mis au point dans les années 1970 et ne profite pas des avancées algorithmiques réalisées depuis. »

D’un autre côté, il y a Stéphanie Chaillat-Loseille et Marc Bonnet, chercheurs au sein de l’équipe-projet Poems (Propagation des Ondes : Étude Mathématique et Simulation), commune à Inria, l’Ensta Paris et au CNRS. Leur collaboration porte sur la méthode des éléments de frontière. « C’est une méthode numérique qui permet de simuler un phénomène physique, telle que la propagation d’ondes, explique Stéphanie Chaillat-Loseille. Elle a l’avantage de reposer uniquement sur la discrétisation de la frontière de l’objet à étudier ; dans le cas de la problématique de Naval Group, sur la limite entre le sous-marin et l’eau. Et ne nécessitent donc pas, comme les méthodes de type éléments finis, de mailler tout l’océan ! » Une méthode qui fonctionne quand le domaine de propagation est assez simple, avec des propriétés homogènes… comme c’est le cas de l’eau.

Trois acteurs pour un défi

La collaboration entre Poems et Naval Group s’amorce donc, mais il manque encore un élément clé : le doctorant qui se chargera d’adapter les travaux académiques du premier aux besoins industriels du second. L’heureux élu est Damien Mavaleix-Marchessoux, alors étudiant à l’Ensta et « recruté » par Stéphanie Chaillat-Loseille pour le projet. « J’ai été séduit par le sujet et par le fait que la thèse soit précédée d’un stage de six mois, qui permette déjà de s’y plonger », se souvient le doctorant.

Il fallait bien ça car le défi proposé par Naval Group est de taille : « J’ai mis la barre très haut en demandant à obtenir en seulement trois ans un code de calcul très haute performance, utilisable en industrie et sans dégrader les formulations mathématiques par des approximations », précise Bruno Leblé. Escorté de ses trois tuteurs, Damien Mavaleix-Marchessoux se met donc au travail. Lors de son stage, il commence par vérifier les limites du seul logiciel existant jusqu’ici. « L’une de celles-ci était le nombre d’éléments qui pouvaient être pris en compte par ce code, détaille le doctorant. Sur un sous-marin de 130 mètres de long, s’il faut faire un maillage tous les 50 mm, le nombre d’éléments intégrant l’équation va rapidement être énorme. » Or la bonne nouvelle, c’est que Stéphanie Chaillat-Loseille a justement mis au point un code de calcul, nommé Coffee, qui permet de prendre en compte des milliers d’éléments ! « Au départ, celui-ci était utilisé pour la simulations des ondes mécaniques, comme les ondes sismiques, rappelle Stéphanie Chaillat-Loseille. Mais depuis quelques années, nous l’utilisons également pour le cas plus simple de la simulation des ondes acoustiques. » Comme celles émises par une explosion sous-marine…

Gagner en vitesse sans renoncer à la précision

La thèse de Damien Mavaleix-Marchessoux consiste donc à utiliser Coffee, tout en accélérant le calcul. « Pour cela, nous avons mis au point une nouvelle méthode qui permet de filtrer les informations pertinentes ou non. Ainsi, au lieu de soumettre 10 000 problèmes au solveur, je ne lui en donne qu’une trentaine, qui sont ceux qui contiennent l’information pertinente, explique Damien Mavaleix-Marchessoux. Puis, toujours grâce à cette méthode, qui repose sur une approximation haute fréquence que nous avons établie empiriquement, je peux retrouver les informations issues des 9970 problèmes restants. » Une solution qui permet de faire beaucoup de calculs très rapidement et avec précision.

Cerise sur le gâteau, Damien Mavaleix-Marchessoux s’est appliqué à coder cette solution, qui est finalement une version « enrobée » de Coffee, de façon à ce qu’elle soit facilement utilisable par l’industrie. « C’est très réjouissant de voir 10 ans de recherches académiques menées en laboratoire passer en application dans l’industrie au cours d’une thèse », note Stéphanie Chaillat-Loseille.

En trois ans, un logiciel haute performance opérationnel

Du côté de Naval Group, la satisfaction est la même : « C’est un challenge incroyable que nous avons relevé en seulement trois ans, grâce aux recherches en amont de Stéphanie et à l’excellent travail de Damien », se félicite Bruno Leblé. Le logiciel est à présent opérationnel et peut ainsi servir à modéliser l’effet d’une explosion sous-marine sur la structure de n’importe quel sous-marin…. Une confrontation avec des résultats d’essais à l’échelle 1 va débuter cette année pour vérifier que les simulations du logiciel correspondent parfaitement à la réalité et pourront donc dorénavant être prises en compte lors de la conception des sous-marins.

De son côté, Damien Mavaleix-Marchessoux, après avoir soutenu sa thèse le 10 décembre 2020, est resté à Naval Group, mais il y déploie les mathématiques appliquées à d’autres domaines : la stochastique et l’intelligence artificielle. « Je travaille principalement sur l’étude de l’environnement des navires pour vérifier qu’il n’y a pas de menace, précise-t-il. Nous développons ainsi des algorithmes pour analyser cet environnement et fournir des aides à la décision. »

Une deuxième thèse dans les tuyaux

Naval Group et l’équipe Poems, eux non plus, ne comptent pas en rester là. Forts du succès de cette première collaboration, les deux partenaires ont mis sur pied une deuxième thèse commune dans la continuité de celle de Damien Mavaleix-Marchessoux. « Dans cette première thèse, nous avons traité la problématique du sous-marin sans les effets de surface et de fond, récapitule Bruno Leblé. Mais pour un bâtiment de surface, l’environnement est légèrement différent. Nous voulons donc poursuivre les recherches de Damien pour en améliorer la performance et les appliquer à des cas plus complexes. »
Stéphanie Chaillat Loseille ajoute : « Maintenant que nous avons prouvé que la chaîne de calcul était efficace pour le cas le plus simple, on va complexifier la physique. Et ce qui souligne encore plus l’intérêt de ces recherches est que la DGA – direction générale de l’armement – nous a rejoints pour le financement de cette seconde thèse. Les applications de nos recherches vont encore au-delà de Naval Group ! »

En savoir plus

Centre de recherche INRIA
inria.fr

Damien Mavaleix-Marchessoux – « Modelling the fluid-structure coupling caused by a far-field underwater explosion »
tel.archives-ouvertes.fr/tel-03145479

« Guerre des mines : Une lutte méconnue mais pourtant stratégique » / Mer et Marine
meretmarine.com/fr/content/guerre-des-mines-une-lutte-meconnue-mais-pourtant-strategique